Michel Ciment, le cinéma en partage de Simone Lainé (2009 / 52 min)

Diffusé dans quelques festivals  (au 31e Cinémed de Montpellier, au 1er Grand Lyon Film Festival), Michel Ciment, le cinéma en partage  est un film documentaire dédié à l’un des plus grands critiques du cinéma français.

Eminente figure de la critique cinématographique française et même internationale, de la cinéphilie en général, Michel Ciment méritait le portrait amoureux réalisé par Simone Lainé. Le document est passionnant, notamment parce que Michel Ciment l’est lui-même. Simone Lainé l’a interrogé lui, pour décrire son parcours commencé dès 1963 à la rédaction de Positif, mais aussi de nombreuses personnalités du septième art qui auront côtoyés Ciment et lui témoignent un profond respect, de l’admiration et même parfois, pour certains, une reconnaissance.

Michel Ciment explique dans les premiers instants du film, qu’avant de devenir critique, il a lui-même dévoré et digéré les critiques des autres. Il propose en 1963 un article sur Le Procès d’Orson Welles à la rédaction de Positif. Le texte est publié à sa grande surprise et, à partir de ce moment, la revue et le jeune cinéphile lient pour une vie entière leurs destins.

Ciment se reconnaît plus naturellement dans Positif que dans Les Cahiers du Cinéma, les deux titres se menant une guerre sans merci par colonnes interposées. La rivalité fait la légende des deux journaux mais aussi de la critique cinéma en général. Ciment reconnait en Positif des valeurs de gauche qui lui sont chères. Surtout il trouve en Positif le journal idéal pour exprimer son point de vue sur le cinéma mais aussi sur le monde.

Ce qui intéresse le jeune journaliste, ce ne sont pas que les films en eux-même. Ciment souhaite poursuivre sa réflexion plus loin, rencontrer les cinéastes pour comprendre mieux la complexité de leurs démarches artistiques pour la réalisation d’un film. Il aura toujours parcouru le monde à la rencontre des cinéastes et aurai même consacré de nombreux ouvrages à quelques uns d’entre eux (Kubrick, Boorman, Angelopoulos etc.)

Dans le documentaire, Michel Ciment estime lui-même être arrivé dans le milieu à un moment privilégié, un moment charnière de l’histoire du cinéma, quand les grands cinéastes classiques comme Mankiewicz étaient à leurs crépuscules et quand débutaient ceux qui aujourd’hui sont considérés comme les maîtres actuels. Ciment cite notamment Scorsese, mais on pense aussi inévitablement à Stanley Kubrick, à qui il a consacré un ouvrage très célèbre, l’un des plus commenté de toute la littérature cinéphile.

Le Kubrick de Ciment n’est pas seulement un livre qui a permit, par la grande clairvoyance de son auteur, à disséquer et comprendre le cinéma de Kubrick, les passerelles entres ses films etc. Le livre présente aussi de la façon la plus éloquente, les fondements même de la cinéphilie de Michel Ciment. Ce livre là est le second ouvrage cinéma le plus vendu dans le monde, après l’incontournable Hitchcock/Truffaut. Il vaut à Ciment une notoriété presque sans égale dans le milieu très fermé de la critique, et même du cinéma dans son ensemble.

Dans le documentaire, l’éloge de Michel Ciment, elle est prononcée par certains grands cinéastes. Tarantino, cinéphile invétéré qui fait figure lui aussi maintenant, dans un autre registre cependant, de référence, parle de Ciment comme d’un professeur. Les autres cinéastes interrogés (Wenders, Joel Coen, Desplechin etc.) témoignent eux aussi de leur admiration. Ils expliquent que Ciment n’est pas un critique ordinaire, il est celui qui se distingue de tous les autres par sa capacité à percevoir dans les films ce que personne d’autre ne voit. Ainsi, Ciment a pu nouer des relations presque privilégiées avec les cinéastes, parce qu’ils repèrent en lui, plus que le maître-étalon de la critique que certains décrivent parfois, mais aussi un témoin sincère et passionné du cinéma, et dont le vecteur principal est celui du partage.

Nicolas Guérin, photographe pour Positif, évoque deux anecdotes assez emblématiques. Il raconte d’abord cette histoire selon laquelle lors d’une soirée un peu arrosé à New York, quatre jeunes cinéastes américains des noms de Quentin Tarantino, James Gray, Paul Thomas Anderson et Steven Soderbergh, se sont lancés un pari : auquel d’entre eux, Michel Ciment consacrerait en premier un ouvrage ? Guerin explique qu’à mesure de ses rencontres successives avec chacun de ses cinéastes, il a pu vérifier la véracité de cette histoire. Le photographe expose un autre fait très évocateur. Pour les 50 ans de la revue Positif, Michel Ciment a dressé une liste de cents cinéastes majeurs à rencontrer, et ne s’est heurter à aucun refus, pas même ceux d’intouchables supposés comme Antonioni.

Le documentaire accompagne Ciment de Paris à Cannes, lieu incontournable de la cinéphilie et dont Ciment parle très bien. Il évoque la découverte de nombreux jeunes talents comme Scorsese et Angelopoulos et conçoit le festival de Cannes, et les autres grandes manifestations comme Berlin et Venise, comme des contre-pouvoirs, des lieux ou les films sont traités à égalité, sont commentés et exposés au grand public. A l’instar de tous les cinéphiles du monde qui ont eu l’occasion de poser les pieds à Cannes pendant le festival, Ciment y associe ses plus grands souvenirs.

A 70 ans passé, Michel Ciment est désormais un vieux cowboy de la critique cinéma, qui déambule dans Paris coiffé de son chapeau typiques des westerns, auxquels il a prit part d’une certaine manière du fait de la querelle légendaire entre son journal dont il est devenu au fil du temps le directeur de la publication, et Les Cahiers du cinéma. Il reste aujourd’hui le passionné qu’il a toujours été et c’est aussi ça qui frappe les esprits, cet amour intact pour le Septième Art, cette capacité inaltérable d’admiration et d’indignation qui continue de faire de lui un des plus précieux témoinz de l’histoire du cinéma. Michel Ciment fait partie, avec André Bazin et Serge Daney, des ces très grandes figures de la cinéphilie qui auront fait mieux que transmettre leur passion, qui auront réussi aussi à éclairer les chemins de nombreux spectateurs.

Michel ciment… l’histoire du cinéma sera dans de bonnes mains”

C’est là l’aspiration la plus noble du travail de critique. Celle que modestement l’on poursuit également ici, à notre échelle. De la même manière que Michel Ciment dit avoir beaucoup lu les critiques qui l’ont précédés avant de se mettre à écrire lui même, il a fallu que moi aussi je lise beaucoup les autres avant de tenter d’assumer mes réflexions et prendre la plume indépendamment des considérations des autres. Incontestablement, Michel Ciment a joué un rôle important à titre personnel, pas seulement parce que mon admiration pour Kubrick s’est largement nourrie de la sienne.

Le portrait dressé par Simone Lainé est bien sûr quelque peu bienveillant, tout en éloge, mais il constitue malgré tout un témoignage sincère, passionnant et juste, de la place qu’occupe Michel Ciment dans le monde du cinéma. L’homme méritait ce film, qui d’une certaine manière redonne un peu de prestige à la fonction de critique, souvent méprisée de part et d’autre. Cela vient sans doute du fait que tous les journalistes cinéma ne sont pas forcément de grands passionnés. Comme le raconte Ciment, qui cite Truffaut, “tout le monde exerce deux métiers : son métier et celui de critique de cinéma”. Tout le monde peut émettre un avis sur les films, et Ciment l’explique très bien. Il suggère ainsi avec malice, la mise en place d’une sorte de permis de critiquer, sur le modèle du permis de conduire, ou le candidat devrait prouver un certain savoir avant de se voir accorder le droit de conduire les spectateurs (ou pas) vers tel ou tel film. On ne doute en tout cas pas que Ciment soit un bon moniteur. On ne peut pas dire qu’il ait un jour trahit sa passion, ce qui n’empêche nullement d’être parfois en désaccord avec lui. C’est même toute la beauté de la chose.

Benoît Thevenin

Date :

Mercredi 31 Mai 2023 –
 18h15

Durée :

52 min

Programme :

Projection

Tarif :

Projection Cinéma / Payant
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